





A propos de l’auteur Ribot sur Weex Dunx
J’ai commencé à travailler sur les politiques forestières au Sénégal en 1986 alors que la législation forestière héritée de la période coloniale était encore en vigueur. Peu de choses avaient changé dans le secteur forestier depuis l’indépendance du Sénégal en 1960. Les villageois basés dans les forêts avaient seulement le droit d’utiliser les produits forestiers dépourvus de valeur marchande (droits d’usufruit) des forêts avoisinantes. Pendant ce temps, les producteurs commerciaux basés dans les villes détenaient tous les droits sur les opportunités commerciales lucratives.
Le produit le plus lucratif des forêts du Sénégal est le charbon de bois. Il est fabriqué en coupant et en brûlant partiellement du bois et il est ensuite transporté vers la capitale pour servir de combustible pour la cuisine des ménages. La production, le transport et la vente du charbon de bois sont contrôlés par un petit groupe de marchands – basés à Dakar et dans de petites villes sur la route entre les forêts et Dakar. Ces marchands ont réussi à contrôler le secteur grâce aux licences professionnelles (cartes professionnelles) qui leur ont été octroyées par le Service forestier et grâce à un quota national de production que le Service forestier national (Eaux et Forêts) fixe chaque année et attribue aux marchands privilégiés détenteurs de cartes professionnelles. Une fois leur quota annuel attribué pour le charbon de bois, ces marchands peuvent obtenir des permis de coupe pour leurs travailleurs migrants (qui viennent essentiellement de la Guinée voisine), qu’ils envoient alors dans les forêts pour couper des arbres et pour préparer le charbon de bois. Lorsque le charbon de bois est prêt, les marchands viennent avec leurs camions, échangent leur quota contre un permis de transport et peuvent alors acheminer leur produit vers le marché de Dakar. C’est de cette manière que les lois forestières ont concentré le contrôle des produits du secteur forestier entre les mains de quelques très riches marchands. Les villageois forestiers, malgré quelques projets visant à les intégrer au travail de production, sont exclus de ce travail et des profits du commerce.
Le quota fixé annuellement par le Service forestier national est sans rapport avec les potentialités des forêts, pas plus qu’il n’est lié à la consommation. Il n’a donc ni une fonction écologique ni un rôle pour garantir l’approvisionnement des villes. En fait, selon toutes les études disponibles qui estiment la consommation, le quota est fixé à environ la moitié de la consommation de la ville de Dakar à elle seule – et tel est encore le cas cette année (2007). En outre, il y a d’autres villes – bien que mineures par rapport à Dakar – qui consomment du charbon de bois au Sénégal. Il en résulte donc que l’essentiel du commerce du charbon de bois, qui n’est pas compté dans le quota, doit être illicite. Etant donné que la demande est satisfaite et que le quota – qui est censé être égal à la demande – est bien inférieur à la demande, l’écart entre le quota et la demande est comblé par des filières illicites. L’essentiel de la production en sus du quota arrive à Dakar sous forme de chargements excédentaires dans des camions ayant des permis de circulation ou sous forme de charbon de bois confisqué à des producteurs « illicites » dans les forêts et ensuite vendu à des marchands ou à des camionneurs disposant d’une carte professionnelle. En bref, même la production « illicite » vient encore enrichir un petit groupe privilégié de marchands urbains déjà fortunés.
En 1993, l’Assemblée nationale sénégalaise a promulgué un nouveau code forestier « participatif ». Ce code participatif était conçu pour permettre aux villageois forestiers de participer au travail de production. Le code permettait aux Conseils ruraux élus de participer à l’exploitation forestière s’ils prenaient part à une série d’activités de gestion forestières ardues – et inutiles, de l’avis de la plupart des populations rurales. Dans le cadre de cet arrangement, s’ils produisaient du charbon de bois dans ces conditions onéreuses, ils pouvaient ensuite le vendre à des marchands ayant déjà une carte professionnelle à des prix modiques en bordure des forêts. Mais, si le Conseil rural n’était pas disposé à s’engager dans la gestion imposée, le code stipulait que le Service forestier pouvait continuer d’attribuer des forêts à des marchants titulaires de cartes professionnelles et à leurs travailleurs migrants – qui n’étaient tenus de participer à aucune activité de gestion. En conséquence, le choix qui était donné aux autorités locales élues était le suivant : 1) participer à la gestion des forêts et avoir accès à des opportunités de travail à peine rémunératrices dans la production ; ou 2) les forêts seraient données à des marchands et seraient coupées de sous leurs pieds. En outre, étant donné que les marchands et leurs migrants n’avaient pas à supporter les coûts de gestion, les villages forestiers et les Conseils ruraux qui les représentaient ne pouvaient pas vraiment être concurrentiels sur ce « marché ». En 1993, la politique s’est effondrée. Les villageois forestiers et les Conseils ruraux ne s’étaient pas précipités pour participer à la corvée participative.
En 1996, le Sénégal a adopté une loi nationale qui décentralisait de nombreuses fonctions au profit des conseils locaux élus. La gestion des ressources naturelles a été transférée aux Conseils ruraux dans le cadre de cette loi. Le Service forestier a été obligé de réviser les lois forestières pour être en conformité avec la législation en matière de décentralisation. Ce nouveau code forestier « décentralisé » a été promulgué par l’Assemblée nationale le 21 février 1998. Il a effectivement transféré d’importants pouvoirs aux Conseils ruraux. Il exigeait que le quota soit basé sur les potentialités écologiques de la forêt de chaque Communauté rurale (la juridiction présidée par le Conseil rural élu). Il exigeait l’élimination des quotas en trois ans (d’ici au 21 février 2001), et il donnait aux Conseils ruraux le droit de répartir les opportunités commerciales forestières. Chose plus importante, le code de 1998 stipulait qu’avant que puisse débuter la moindre activité de production commerciale dans une Communauté rurale, le président du Conseil rural devait accorder sa permission en signant un accord. Il faut obtenir sa « signature préalable ». Mais, comme le montre le film, ces nouvelles politiques progressistes n’ont jamais été appliquées.
Le film Weex Dunx et le Quota s’inscrit dans le prolongement d’un récent programme de recherche de trois ans effectué par le WRI, le CODESRIA et le CIRAD au Sénégal. A la fin de la période de recherche, l’équipe de recherche a organisé un dialogue de politique nationale durant lequel nous devions présenter nos résultats. Mais je n’avais pas envie simplement de me lever devant un public constitué du Service forestier, du Ministère de l’environnement, du Ministère du développement local, de la société civile et de bailleurs de fonds pour leur dire, une fois de plus, que leurs politiques n’étaient pas mises en œuvre, que leur comportement enrichit les commerçants urbains en destituant les populations rurales, et que leurs activités compromettaient le développement de la démocratie locale au Sénégal. En conséquence, il m’a semblé que l’humour et l’ironie seraient plus efficaces. Partant de cette idée, j’ai ébauché le manuscrit d’une pièce qui partait des conclusions de la recherche. L’histoire reposait sur des entretiens exhaustifs effectués dans toute la zone de production. Je recrutais alors les services d’une troupe théâtrale G’Art-Ri, Zenith d’Art de Dakar et je me lançais dans le travail de production.
Le dialogue de la pièce a été conçu de manière interactive avec les acteurs. Il était toutefois basé sur des citations issues d’entretiens sur le terrain. La Communauté rurale de Nambaradougou est une mosaïque de plusieurs Communautés rurales dans la région de Tambacounda au Sénégal. Le président du Conseil rural, Weex Dunx, est un portrait robot de nombreux présidents de Conseils ruraux. Tout ce qu’il y a dans la pièce s’est effectivement produit. C’étaient des situations fréquentes dans toute la région de production du charbon de bois. En fait, seul un des présidents de Conseils ruraux sur les 13 interviewés signait sans résistance. Dans l’ensemble, les populations des zones de production ne veulent pas que la production ait lieu du tout. Elles ne veulent pas que leurs forêts soient coupées et carbonisées pour approvisionner Dakar. Les conseillers sont, pour la plupart, hostiles à la production. Tandis que Weex Dunx et le Quota est une version simplifiée de la réalité, l’histoire a pour but d’illustrer certains des effets des actions du Service forestier, des ministères et de la société civile au Sénégal.
La pièce a été présentée lors d’un dialogue sur la politique nationale à Dakar en mai 2006. Le public a ri et a semblé s’amuser. Puis, une pause-café. Pendant cette pause et plus tard dans l’après-midi, plusieurs conseillers ruraux m’ont dit que la pièce avait bien saisi leur expérience. Aucun agent du Service forestier n’a fait de commentaire à propos de la pièce. Pendant les présentations et les discussions du reste de la journée, la pièce n’a jamais été mentionnée. Mais, nombre de questions en rapport avec le quota et les effets des pratiques actuelles sur la représentation locale ont été évoquées lors des discussions. Le lendemain, nous avons décidé de faire un film de la pièce et nous avons passé les deux jours suivants à filmer. Nous espérons diffuser ce film à la télévision nationale sénégalaise, suivi d’un débat avec le directeur du Service forestier. Nous espérons aussi le montrer dans l’est du Sénégal où la production de charbon de bois continue. Les effets du film sur les politiques se dégageront avec le temps. Il n’a pas eu un impact immédiat – tout ce qui se passe dans le film est déjà bien connu des forestiers. Mettre en évidence les pratiques ne signifie pas davantage de transparence – ces pratiques sont déjà transparentes pour les parties concernées. L’espoir est que le film sera vu par des citoyens, l’organisation de la société civile, d’autres ministères et des bailleurs de fonds, et qu’il produira un débat positif sur les liens entre les pratiques dans le secteur forestier et les politiques ainsi que la pratique de la gouvernance de manière plus générale au Sénégal.
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